La santé mentale nous apparaît comme phénomène capable de rendre compte de la norme et des marges dans la société, une réalité faite de tensions, et au cœur de laquelle des individus seront étiquetés comme déviants, aliénés ou déments sous prétexte qu’ils ne cadrent pas avec une certaine contingence socio-historique.
En d’autres termes, la santé mentale entend faire la critique de ce présupposé selon lequel des individus seraient par essence différents. Dès lors, ils seraient les victimes d’une stigmatisation produite socialement et dont la fonction serait de préserver la norme.
C’est pourquoi, la santé mentale entend, à nos yeux, dénoncer les rapports de forces entre les différents membres de la société et ainsi faire la démonstration du lien social comme produit d’une construction légitimée dans le temps, mais qui n’est pas nécessairement éthique pour tous.
Aussi, l’illustration que nous proposons est un portrait d’Alan Turing qui, selon nous, incarne le phénomène de santé mentale. En effet, de notre point de vue, Alan Turing est un exemple encore très vivant, parce que représentatif, de la victimisation de certains individus identifiés pervers ou bien encore fous et donc condamnés à demeurer en marge.
Célèbre mathématicien britannique, connu pour avoir participé à l’effort de guerre pendant le conflit de la Seconde Guerre mondiale, il contribua à créer un code télégraphique capable de déjouer les offensives allemandes en faveur des alliés. Aussi, il est célèbre pour avoir été cette figure homosexuelle condamnée par la justice anglaise à la castration chimique. C’est par ce dernier point que nous justifions l’enjeu pour lequel la société, sous prétexte de protéger la norme, discrimine certains individus et les condamne à la prétendue guérison par le recours douloureux du traitement thérapeutique.
En effet, nous sommes courant des années cinquante, en Grande-Bretagne, dans le cadre d’une société où l’homosexualité est perçue comme pathologique et qui, de surcroît, se voit condamnée pénalement, d’abord par la peine de mort dès 1625 et par la condamnation à la perpétuité dès 1885. C’est à partir de 1898, et ce jusqu’en 1967, qu’un homme soupçonné de pratique sodomique risquait dix ans d’emprisonnement ou le traitement médical et psychiatrique. (Malick Briki, 2009)[i]
Or, nous parlions de contingence. La vie d’Alan Turing nous apparaît comme étant capable de mettre en exergue un environnement socio-historique déterminant et articulé autour d’un cadre légal contraignant. Et pour quelles conséquences sur les individus ? Pour le mathématicien anglais en l’occurence, le verdict injuste qui le condamne est de subir la castration, et pour quelle finalité ? Des suites de ses trois années de traitement, Alan Turing est tombé progressivement dans un état dépressif de plus en plus sérieux. Son suicide en Juin 1954 sera causé par l’ingestion d’une pomme empoisonnée au cyanure.
[i] Briki, M. (2009). Psychiatrie et homosexualité, lectures médicales et juridiques de l’homosexualité dans les sociétés occidentales de 1850 à nos jours, Presse universitaires de Franche-Comté, coll. « Thesis », SL.
ALAN TURING
(Portrait de Henrik Olesen[i])
[i] Henrik Olesen (2008), Some Illustrations to the Life of Alan Turing, Exposition Malmö Konsthall, 4 décembre au 30 Janvier 2010, Malmö, Suède.