LES FIGURES DE L’HOMOSEXUEL MASCULIN À TRAVERS L’HISTOIRE
En étudiant l’opinion, mais aussi en faisant l’analyse des mouvements sociaux à travers l’Histoire, on constate que les hommes homosexuels sont le plus souvent identifiés dans le strict cadre d’une représentation dite « cliché » de leur condition d’existence et de leur pratique, ce qui participe à leur marginalisation.
Diabolisés dans la société du Moyen Âge et définis comme des déficients mentaux au cours du XIXe siècle, les homosexuels que l’on qualifiait de bougre, de sodomite, d’inverti, de folle, d’uraniste, de pervers, de pédéraste, d’antiphysique, d’uranien, tendent à être discriminés au cours de l’Histoire. Les images changent et les dénominations évoluent au fil du temps. Pourtant l’idée d’hors-norme perdure et l’homme homosexuel touche à l’extra-ordinaire.
Ainsi, l’homosexualité masculine rend compte de paradoxes. Les gays sont assujettis à une pratique sexuelle mise en doute par la société, et leur appartenance de genre est souvent perçue par l’opinion comme produit d’une altération, eux qui semblent ne pas être tout à fait de vrais hommes. En découle une identification simplifiée et grossière, fondée sur une représentation - stéréotypée – des gays qui a trait à de prétendus caractères morphologiques et comportementaux que les seuls hommes homosexuels détiendraient.
En étudiant les réflexions menées dans des champs comme ceux de la médecine, de la psychanalyse ou de la philosophie, on peut, en effet, faire le constat suivant : la compréhension de la sexualité - et par extension de l’homosexualité - s’est faite de façon somme toute relative et, qui plus est, avec comme point d’orgue l’aliénation des homosexuels masculins.
Dans Histoire de l’homosexualité, de l’Antiquité à nos jours (2005)[1], l’écrivain Colin Spencer entrevoit la sexualité comme le produit d’une contingence socio-historique. Dans cette perspective, l’auteur nous démontre qu’il est illusoire de croire en une définition continuée de la sexualité, de chercher à en déterminer son essence, parce qu’elle naît de contraintes historiques et demeure, de ce fait, sujette à l’évolution, et il écrit : « La manière dont une société exprime sa sexualité est le résultat direct de sa structure politique et de son idéologie. »[2] Il en va de même de l’homosexualité que l’historien considère, là aussi, comme le résultat d’interprétations diférenciées en fonction des singularités de l’histoire et des sociétés.
Notre ambition, ici, est de rendre compte d’un portrait manifeste de l’homosexuel dans le temps. Nous n’opérons pas d’analyse diachronique mais nous préférons dégager la structure des discours dominants[3] et faire ainsi la preuve d’une réalité de représentation légitimée socialement et culturellement de l’homosexualité masculine dans la société pré-monothéiste de l’Antiquité, dans celle chrétienne du Moyen Âge, au 19 ème siècle et à partir des années 1970. En effet, ces quatre dimensions temporelles, arbitrairement constituées, permettent, selon nous, d’exprimer une considération sociale de l’homosexualité masculine de nature soit plutôt favorable, parce que la tendance est de marquer une acceptation de l’homosexualité, soit plutôt défavorable parce que le projet est de minimiser, voire d’occulter le rapport du même dans la société et ses institutions.
De plus, nous tenons à rappeler que nous n’apposons pas d’expertise historique a proprement parler. En effet, nous ne prétendons pas mener de recension des formes successives de représentations temporelles de l’homosexuel masculin. Notre objectif est de faire la démonstration de ces figures ou clichés de l’homosexuel comme les produits d’une construction sociale soumise à la contingence de facteurs culturels et de normalité, et qui participent toujours à structurer l’identification des gays dans la société. La persistence de ces clichés nous amène à réfléchir sur un constat qui est de faire de l’homosexuel un être à chaque fois à part.
[1] Spencer C., Histoire de l’homosexualité, de l’Antiquité à nos jours, SL, Pocket, coll. « Agora », 2005.
[2] Ibid., p. 454.
[3] L’expression « discours dominants » laisse sous-entendre qu’il existait concrètement une forme de consensus social qui prévoyait qu’une majeure partie d’individus s’accordaient à reconnaître une forme ainsi que des codes de l’homosexualité masculine. Or, ces discours dits « dominants » nous sont rapportés par une communauté d’historiens, et ce, en fonction d’un impératif matériel (reliques, sources textuelles, toute preuve retrouvée lors de fouilles, etc.). Nous pouvons supposer que ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de traces qui témoignent de l’existence de discours alternatifs qu’ils n’ont jamais été. De plus, nous pouvons faire l’hypothèse des classes sociales dans lesquelles les individus ne partageaient pas nécessairement les mêmes valeurs. Dans l’Antiquité, l’homosexualité masculine qui nous est rapportée concerne la classe aristocratique et notamment le citoyen athénien. L’homosexualité en milieu populaire ou rural par exemple ne semble pas exister, historiquement nous n’avons que peu ou pas de preuves. Cela ne signifie pas que l’homosexualité, dans ces conditions sociales, n’était pas.
De plus, nous faisons l’hypothèse de la possibilité que certaines réalités historiques aient été occultées par effet d’une sélection inconsciente orchestrée par les experts eux-mêmes. Un exemple de ce processus d’occultation historique, celui mis en avant par l’historienne Paule Paganon qui, dans son ouvrage Femmes remarquable de l’Antiquité (2009), fait la critique de l’Histoire comme le produit des seules implications et actions des hommes. Le phallocentrisme patenté, a priori omniprésent dans les récits de l’Histoire, semble être plus qu’un fantasme, il est culturellement légitimé. Or, l’historienne cherche à nuancer le discours de ces hommes, historiens et penseurs, qui n’entrevoit le genre féminin qu’à travers le stricte prisme de la femme lascive, docile et délicate. L’auteure rappelle, en effet « Messaline a-t-elle été aussi dépravée et débauchée que relate Juvénal ? Agrippine l’Ainée, la mère d’Agrippine la Jeune, a-t-elle eu le comportement magnifique que les historiens décrivent ? Lucrèce est-elle la caricature que l’on connaît, le modèle par excellence de la matrone romaine ? Locuste n’est-elle qu’un nom synonyme d’empoisonnement experte et infaillible ? Les auteurs se préoccupent peu de psychologie quand il s’agit d’évoquer la gent féminine. » (Paule Paganon, 2009, p. 2)
L’ouvrage n’en demeure pas moins relever d’un projet original et nécessaire parce qu’il apporte une visibilité sur les actrices de l’Histoire plus que sur les acteurs. Changement de point de vue ? Pas uniquement, puisque ce livre ne se contente pas d’emprunter une perspective d’approche à travers laquelle les femmes sont dépeintes comme des figures fortes, indépendantes, omnipotentes et libre de leur action. Bien au contraire, ce que l’auteur-e démontre ici, c’est la difficulté avec laquelle ces reines et intellectuelles de l’Antiquité n’ont eu de cesse de suivre des rôles imposés, par la culture d’une part, la religion et la société d’autre part.
Partant de ce constat, l’objectif, ici, semble clair : réhabiliter l’image des femmes qui tendaient bien trop facilement vers un idéal simple, sans relief ni vraissemblance.
