GAY COWBOY
Avec l'émergence de ce que Guillaume Marche appelle les « enclaves urbaines » homosexuelles, les minorités « s’accordent » à vouloir se retrouver dans un « havre où nul n’est entravé dans le bon déroulement de sa vie quotidienne au motif de son homosexualité. » De manière concomitante à cela, naît le désir de plus de visibilité et notamment d’encoudre avec une société hétérosexiste foncièrement partiale parce qu’étant en défaveur des LGBTIs. À ce propos le sociologue rappelle que « il [ce mouvement] est axé sur la revendication conjointe d’une identité offensive ne reniant rien de sa déviance, et d’une citoyenneté de plein droit, revendication visant in fine à transformer la société dans son ensemble. »
L’adoption du drapeau comme emblème par la « communauté » LGBTI a accompagné cette double aspiration collective faite de confort (conversion d’un espace urbain non plus hétéronormé mais homonormé ou allonormé et, de ce fait, un espace qui serait adapté avant tout aux minorités sexuelles) et de visibilité (volonté de changer la société pour qu’elle soit davantage tolérante mais surtout égalitaire).
Or, Guillaume Marche explique que ce projet, noble semble-t-il, s’en est trouvé perverti. Le drapeau LGBTI est devenu synonyme de symbole marchand[3], un « motif multicolore que l’on retrouve sur toute une gamme de produits de consommation, du t-shirt au bijou et du porte-clé au distributeur de savon liquide pour la salle de bains. » On peut, en effet, réfléchir sur le caractère « vendeur »de l’arc-en-ciel, notamment à une époque sociale où la commercialisation et les lois du marché sont des principes rois, voire fondateurs, dès les années 70 aux États-Unis comme ailleurs.
Cette perversion commerciale d’un emblème à l’origine à prétention politique et sociale reste à relativiser. Si, comme l’explique Guillaume Marche, le drapeau LGBTI, substitué en « symbole marchand », tend à troubler le message initial protestataire des minorités sexuelle, il s’avère aussi être un outil potentiel capable de soutenir la « cause » homosexuelle.
La société étant relativement plus « homophile » on peut faire le constat, actuellement, que le drapeau arc-en-ciel par exemple imprimé sur le t-shirt d’une célébrité dessert la cause, bien au contraire (voir ci-contre l’acteur Jake Gyllenhaal - source internet).
L’effet « commercialisation » peut vider le symbole de sa substance militante, mais elle peut aussi permettre une réappropriation de la dimension politique et revendicative.
L’acteur américain Jake Gyllenhaal est connu comme étant hétérosexuel et défenseur des droits LGBT, il a marqué les esprits dans son rôle de Jack Twist aux côtés de l’acteur Heath Ledger qui jouait le personnage de Ennis Del Mar, dans le film Le secret de Brokeback Moutain, sorti sur les écrans en France le 18 janvier 2006 et adapté du roman éponyme de Annie Proulx (1997). Le long-métrage narre la relation conflictuelle et dramatique, entre deux cowboys (Ennis et Jack) en 1963 l’État du Wyoming. Ce film sujet à polémiques a eu le mérite de relancer le débat sur l’homosexualité masculine aux États-Unis évidemment mais aussi outre-Atlantique. Pour en revenir à l’exploitation du symbole arc-en-ciel, on ne peut pas nier que le symbole, même marketé sur un vêtement, porté par une célébrité aussi engagée que peut l’être Jake Gyllenhaal, conserve son caractère initial. Sur le t-shirt on peut lire « I was a gay cowboy before it was cool », comprenons « j’étais un cowboy gay avant que ça devienne la mode ». Hormis l’aspect cocasse (rappelons que l’acteur s’est fait connaître pour avoir joué le rôle d’un cowboy homosexuel), il n’en demeure pas moins que sous l’impulsion de la notoriété de l’acteur, l’emblème de l’arc-en-ciel se renforce, voire il se reféfinie, non pas en une déviance mercantile - c’est un t-shirt (joliement) illustré - mais en un message (toute proportion gardée) essentiellement engagé.
Autrement dit, la banalisation d’un symbole d’affirmation collective comme le Rainbow Flag en tout support (y compris donc celui mercantile), n’est pas nécessairement néfaste. Guillaume Marche écrit « Partant, il convient de s’interroger à présent sur l’existence de démarches visant à redonner à l’arc-en-ciel gai et lesbien toute sa signification protestataire. » Nous posons la question, en a-t-on besoin ?
En ce qui concerne l’aspect « visibilité », Guillaume Marche tend à relativiser son propos et à démontrer que le drapeau LGBTI, paradoxalement, n’est pas représentatif des modes différenciés de subjectivation. Autrement dit, il ne symbolise jamais tous les homosexuels mais uniquement une partie d’entre eux, remettant en cause par la même l’ambition initiale de rassembler toutes les minorités dans un unique projet identitaire et de reconnaissance et faisant ainsi du drapeau arc-en-ciel un simulacre.

